Fransaskoise d’origine bien installée à Montréal depuis 15 ans, l’auteure-compositrice-interprète Anique Granger a fait ses premiers pas sur la scène musicale canadienne avec le groupe Polly- Esther avant d’entreprendre une carrière solo.
Le lancement de ses deux premiers albums lui a permis de parcourir le Canada et de fouler le sol européen pour présenter son travail folk. Son premier album lancé en 2008, Pépins, lui a d’ailleurs valu le prix Trille Or de l’Artiste de l’Ouest par excellence en 2009 ainsi que le prix Édith Butler de la Fondation SPACQ. Son deuxième album, Les outils qu’on a, a été en nomination au Gala des prix Trille Or 2013 dans la catégorie Meilleur album de l’Ouest canadien en plus d’être finaliste aux Canadian Folk Music Awards en 2012, dans la catégorie Album francophone de l’année.
Celle qui se décrit comme étant féministe estime qu’il y a encore beaucoup de travail à faire en ce qui a trait à la situation des femmes sur la scène artistique.
Il y a des doubles standards. J’essaie de ne pas aller dans la négativité là-dessus […] mais les attentes de l’industrie ne sont pas les mêmes. On s’attend à ce qu’une femme ait fait son chef-d’œuvre à 25 ans. […] Les hommes vont faire des choses phénoménales parce qu’ils ont eu le temps de mûrir.
En avril 2015, Anique a lancé son troisième album, Aimer comme une émeute, réalisé par Rick Haworth, qui a notamment collaboré avec Daniel Bélanger, Michel Rivard et Lhasa De Sela.
De retour en phase d’écriture, l’artiste autodidacte compte continuer de s’ouvrir et donner davantage de place à des collaborations d’écriture, une pratique acquise il y a tout juste quelques années lors d’une participation aux rencontres de Astaffort, une résidence de création réunissant une quinzaine d’auteurs dans le village de Francis Cabrel, en France. Elle collabore maintenant beaucoup avec la Franco-Ontarienne Mélanie Brulée, avec qui elle a d’ailleurs déjà partagé la scène lors d’une tournée pancanadienne.
Fluctuer, comme Anique Granger
Jean-Étienne Sheehy
D’emblée, l’image est forte; Aimer comme une émeute. Il est vrai que le troisième disque d’Anique Granger tire sa source de grands changements dans sa vie, mais pourtant, celui-ci n’a rien de la violence et du chaos d’un grand mouvement de contestation populaire. La Fransaskoise garde pleinement le contrôle, tout en soulignant le temps qui passe afin de soigner une plaie ouverte, mise de l’avant dès le départ : « Je prends le temps de bien guérir », affirme-t-elle sur « Inassouvie ».
Ça prendra le temps que ça prendra et tous les moyens sont nécessaires pour y arriver, y compris d’afficher ses différentes contradictions. Sous une mélodie americana sortie tout droit des plaines de l’Ouest canadien, elle affirme sur « L’eau » que « Si je te dis allons lentement, je mens. » On a d’ailleurs l’impression de rouler sur une route de campagne de la Saskatchewan quand débute « Pour te garder ». Ici, elle tente de réconcilier les oppositions d’une relation amoureuse. Pourtant, elle soutient l’honnêteté du propos avec rythme : « Je veux que mes caresses te blessent de beauté, je veux te faire du mal pour te consoler. »
Les textes sont peaufinés à souhait, mais il faut dire que l’expérience du vétéran se fait entendre tout au long du disque, car Anique s’adjoint les services de Fred Fortin à la réalisation afin de soutirer le meilleur de sa démarche. Chaque élément est placé avec naturel et évite de donner inutilement dans la mélancolie, même s’il offre un constat universel à l’état brut : « Le problème avec la joie c’est qu’on sait que ça ne durera pas. »
La cicatrisation doit donc passer par un moyen autre que l’écriture de chansons. Dans ce contexte, Anique étonne en sortant régulièrement de sa zone de confort, tel que mis en évidence sur « Mes mains sont sales ». Les guitares acoustiques sont superposées aux sublimes synthétiseurs de François Lafontaine afin d’ouvrir de nouvelles frontières au disque et par le fait même, à l’auteure-compositrice-interprète. Pour la première fois, on plonge dans les vapes, tout en groovant à l’écoute de ses chansons. Elle souligne ici les années d’expériences accumulées : « Tenace, comme la dernière braise. »
La ligne est mince entre la ténacité et l’acharnement, pourtant Anique évite ce piège; ce court détour la ramène dans sa cour arrière, avec « On ne sait plus ». Dans la relation amoureuse décrite ici, le fossé est irréconciliable, au point où le lit double décrit dans le couplet devient « le Grand Canyon ».
Ici, l’heure n’est pas à l’urgence ni aux temps morts; elle n’hésite pas à prendre le temps d’installer le climat, avant de dévoiler sa ligne directrice. « Nous jetterons des rêves » bénéficie du groupe qui l’accompagne, particulièrement lors d’un jam qui débarque spontanément en milieu de parcours. Les savantes textures sonores de Lafontaine, meublées au pedal steel rêveur de Rick Haworth et aux guitares vaporeuses de Jocelyn Tellier, insufflent une nouvelle profondeur qui sert le vent de fraîcheur du disque. Ces trois explorateurs sonores sont d’ailleurs soutenus par une imposante section rythmique, composée de Fred Fortin à la basse et Samuel Joly à la batterie, qui délaissent la solidité des autres titres pour participer au chaos. Aimer comme une émeute, c’est peut-être plonger tête première dans ladite émeute.
En guise de conclusion, « Prière pour Louise » sert de pont entre ce disque et le reste de la discographie d’Anique Granger. Son phrasé unique rappelle la familiarité de ses textes, sous cette ballade qui évoque le folk rock des années 1970. Le processus fut exutoire et lorsqu’elle chante « La fois où t’as passé la nuit à m’écouter parler de tout c’qui me fait peur », on a carrément l’impression d’avoir été sur une véranda jusqu’au lever du soleil à l’écoute du disque.
Le parcours d’Anique Granger est inspirant pour n’importe quel artiste de la francophonie canadienne. L’exploit accompli sur ce disque impressionne, non seulement car il s’inscrit dans le cadre d’une belle carrière, mais parce qu’il permet à l’auteure-compositrice-interprète de se réinventer sans avoir à se dénaturer.
Photos en Coulisses
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Balade panoramique avec Anique Granger
Accompagnez Anique Granger dans les studios de Balade à Toronto, alors qu’elle interprète la chanson de Jean Leloup à sa propre sauce. Regardez la vidéo sur votre téléphone et tournez (littéralement!) pour visionner le tout en profitant de l’effet à 360 degrés, ou utilisez simplement votre souris pour naviguer dans l’espace. Vous ne pourrez pas visionner le tout sur votre téléphone sans passer par l’application Facebook. Veuillez aussi noter que les fureteurs Safari et Explorer ne soutiennent pas la vidéo 360. Cliquez ici pour y accéder.
Entrevue
La Fransaskoise Anique Granger nous parle de guitare et de l’inspiration pour sa chanson « Main et Portage », en plus de partager avec nous ses projets et ses désirs pour les prochaines années.
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